Actualité
La table ronde sur les perturbateurs endocriniens du 11 octobre 2017 à l’Espace Mendès France de Poitiers a été enregistrée :
Les perturbateurs endocriniens
Le système endocrinien humain est constitué d’un certain nombre de glandes (épiphyse, hypophyse, thyroïde, thymus, pancréas, surrénales, ovaires et testicules, hypothalamus ) qui secrètent des hormones permettant le bon développement et le bon fonctionnement de notre corps. Ce système régule entre autres la reproduction, la croissance, l’immunité, le métabolisme…
Les perturbateurs endocriniens (PE) (en anglais, ED, endocrine disruptors) sont des molécules, naturelles ou synthétiques qui par leur structure miment celle des hormones et perturbent ainsi les fonctions que celles-ci permettent d’assurer. Ces dérèglements peuvent conduire à des troubles de la reproduction et du développement (infertilité, puberté précoce), à certains types de cancers hormono-dépendants (sein, prostate, testicule), à des malformations (hypospadias, micropénis), à l’obésité, au diabète, à des troubles du comportement, …
Des molécules omniprésentes
La difficulté est de déterminer, parmi les centaines de milliers de molécules existant sur le marché, lesquelles sont des perturbateurs endocriniens.
Et quand les preuves s’accumulent, il est d’autant plus difficile de faire cesser l’utilisation de ces molécules que les intérêts économiques passent souvent avant les enjeux de santé. On les retrouve en effet dans de très nombreux produits couramment commercialisés.
Elles sont utilisées dans des médicaments, des pesticides, des détergents, des parfums, des crèmes filtrantes solaires, dans certaines matières plastiques servant à fabriquer des récipients alimentaires, des dispositifs médicaux, des jouets; comme conservateurs dans certains cosmétiques et dans l’industrie agroalimentaire; comme retardateurs de flamme dans les voitures, les équipements électriques et électroniques, le mobilier … Plusieurs centaines de molécules sont concernées. On les retrouve dans l’air, dans les sols, dans les eaux et bien sûr dans notre alimentation. Elles contaminent la quasi-totalité des êtres humains et de la faune sauvage.
Un mode d’action déroutant
Les toxicologues pensaient jusqu’alors que pour toute substance, comme le disait déjà le médecin alchimiste Paracelse au XVI ième siècle, « seule la dose fait le poison » et qu’il existe un seuil au-dessous duquel il n’y a pas d’effet visible.
Tout notre système sanitaire concernant l’exposition humaine aux substances chimiques est encore basé sur la fameuse DJA (dose journalière admissible).
Or, de nombreux travaux scientifiques ont montré que les PE ont des particularités d’action qui bouleversent les principes et modèles connus – les paradigmes – de la toxicologie:
certains PE ont des effets plus importants à faible dose qu’à forte dose / certaines molécules potentialisent leurs effets nocifs lorsqu’elles sont en mélange, c’est l’effet cocktail / les effets peuvent être différés dans le temps chez un individu qui a été exposé à une période donnée / certains effets peuvent se transmettre aux générations suivantes (épigénétique) / enfin et surtout, plus que la dose, ce sont les fenêtres d’exposition au cours de la vie qui sont déterminantes, les fœtus, les jeunes enfants et les adolescents étant les plus sensibles.
Des pionniers, des experts, des lanceurs d’alerte… et de puissants lobbies
Le signal d’alarme a été tiré pour la première fois il y a plus de 25 ans à partir des désordres constatés sur la faune sauvage.
Theo Colborn, zoologiste américaine, fit figure de pionnière en soulignant dès 1990 le lien entre la pollution chimique et les signes de perturbation du développement et du comportement sexuels (infertilité, féminisation des mâles) apparus sur la faune des Grands Lacs. Elle organisa la première conférence sur le sujet en juillet 1991 dans le Colorado qui aboutit à la Déclaration de Wingspread, un appel de 21 scientifiques soulignant « l’urgence d’une réduction de la contamination de l’environnement sous peine de dysfonctionnements généralisés à l’échelle de la population ». Elle publia en 1996 un livre, « Our stolen future » (Ce futur qu’on nous vole), préfacé par Al Gore, vice-président des Etats Unis. Elle créa et anima le site de veille scientifique TEDX, une des meilleures sources d’information sur les PE. En décembre 2013, sa base de données comportait 1000 molécules.
En Europe, l’appel de Wingspread fut validé lors de la conférence de Weybridge (G.B.) organisée en décembre 1996 par la Commission européenne et des programmes de recherche furent lancés sous l’autorité du toxicologue Andreas Kortenkamp. Les résultats furent présentés au colloque de Prague en mai 2005. A cette occasion, plus de 200 scientifiques appelèrent à « combler les lacunes et les failles de la réglementation » pour « une meilleure protection de la santé humaine et de la faune sauvage ».
En juin 2009, lors du Congrès de l’Endocrine Society, référence mondiale en la matière, la déclaration de Washington élargit la définition des PE et formalisa le changement de paradigmes toxicologiques évoqué ci-dessus.
En 2009, la Direction Générale de l’Environnement de l’Union européenne commande un nouveau rapport à Andreas Kortenkamp, qui paraît en 2012 sous le titre « State of the Art of the Assessment of Endocrine Disruptors ».
En France, en 2011, une expertise collective de l’INSERM « Reproduction et Environnement » évoque l’insuffisance de données épidémiologiques pour tirer une conclusion mais souligne clairement que : « Même si la complexité scientifique, le degré d’incertitude ou l’ignorance ne permettent pas de comprendre tous les mécanismes d’action, il ne faut pas attendre la preuve de la causalité et la compréhension de ces mécanismes pour protéger la santé des populations et mettre en place la production de substances de substitution. »
Mais , à l’opposé de cette sage conclusion, de puissants lobbies sont à l’oeuvre pour dissuader les décideurs politiques de promulguer des réglementations contraignantes sur l’utilisation de certains produits chimiques, en particulier des PE. Leur méthode favorite, analogue à celle utilisée par le lobby du tabac ou celui de l’amiante, est d’organiser le doute en jetant la suspicion sur les travaux scientifiques; il arrive que les agences étatiques soient sensibles à leurs arguments. Leur principal objectif est de gagner du temps.
Des lanceurs d’alerte en font parfois les frais. Par exemple, André Cicolella, chimiste et toxicologue, qui travaillait sur les éthers de glycol à l’INRS. Licencié abusivement par son institut, il lui a fallu aller jusqu’en Cour de Cassation pour obtenir gain de cause. Il continue son combat comme conseiller scientifique à l’INERIS et comme président fondateur du Réseau Environnement Santé.
C’est également à cause de ce lobbying efficace que l’EFSA (Agence européenne pour la sécurité des aliments) n’a toujours pas établi les critères permettant de définir réglementairement le classement d’une molécule comme PE alors que la Commission européenne lui avait fixé fin décembre 2013 comme date limite. Le blocage semble venir de l’industrie chimique qui, au mépris des connaissances scientifiques actuelles, ne voudrait voir réglementer que les PE «forts».
Des pistes pour se débarrasser de ces molécules nocives
Assez tardivement, la France a élaboré en avril 2014 une Stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens (SNPE) suivant cinq axes: soutenir la recherche, développer l’innovation dans l’industrie, renforcer l’expertise, porter ce sujet majeur de santé publique au niveau européen, améliorer l’information des citoyens.
Les choses avancent mais lentement. Ainsi, pour sa troisième version, le Plan National Santé Environnement 2015-2019 (PNSE 3) retient enfin la notion plus large d’exposome qui va permettre d’inclure les expositions environnementales.
Il existe d’autre part un Programme National de Recherche sur les PE. Plusieurs équipes y participent. Notons par exemple les travaux de Rémy Slama de l’Université de Grenoble, de Luc Multigner du CHU de Rennes, de Charles Sultan du CHU de Montpellier. A Poitiers, une équipe de chercheurs (Rabouan, Migeot, Albouy-Llaty, Dupuis, Legube) travaille sur la contamination par les dérivés chlorés du bisphénol A.
De leur côté, des associations comme par exemple France Nature Environnement, Agir pour l’Environnement, WWF France, Générations Futures et le Réseau Environnement Santé (RES) ainsi que la Mutualité Française s’emploient à faire évoluer les mentalités. Elles mènent des campagnes d’information du public, font pression sur les décideurs pour que la prévention soit renforcée. C’est sans nul doute grâce à l’action du RES que la France a pris dès 2010 la décision, pionnière en Europe, de supprimer le bisphénol A dans les biberons.
La représentation nationale a continué à se préoccuper de la question. L’OPECST (Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques) a publié en 2011 le rapport Barbier intitulé « Les perturbateurs endocriniens, le temps de la précaution ». La généralisation de l’interdiction du bisphénol A dans tous les contenants alimentaires commercialisés en France a été votée en 2012 et s’applique depuis le 1er janvier 2015.
Mais pour l’instant, contrairement à ce qui s’était passé pour les biberons, l’Europe ne suit pas. Pourtant, cette question de l’interdiction des PE doit être réglée au niveau européen comme l’a souligné le député Jean-Louis Roumégas qui a fait des propositions intéressantes à ce sujet.
Pour conclure
De nombreuses substances ont au fil des années défrayé la chronique: le DDT, le distilbène, les dioxines, les PCB, l’atrazine, les parabènes, les phtalates, les éthers de glycol, le bisphénol A, le triclosan, … Parmi elles, certaines ont été abandonnées, d’autres pas encore. Et il en existe beaucoup d’autres qui continuent à perturber insidieusement le monde vivant et contribuent à l’épidémie mondiale de maladies chroniques non-infectieuses constatée depuis plusieurs années.
L’implication des citoyens est nécessaire pour faire évoluer les choses plus rapidement. Non seulement par des choix individuels éclairés en tant que consommateurs mais également par un investissement dans les associations qui oeuvrent pour la réduction rapide de l’exposition aux PE et pour l’adoption de réglementations ambitieuses menant à leur interdiction.
Roland Caigneaux
Bibliographie succinte:
-
Expertise collective Reproduction et environnement, INSERM, 2011
-
Rapport Barbier, OPECST, juillet 2011
-
Rapport Kortenkamp, UE, 2012
-
Rapport Roumégas, Assemblée Nationale, février 2014
-
Stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens, MEDDE, avril 2014
-
André Cicolella, Toxique planète, éd. Le Seuil, 2013
-
Fabrice Nicolino, Un empoisonnement universel, éd. Les liens qui libèrent, 2014
-
Marine Jobert, François Veillerette, Les perturbateurs endocriniens, éd. Buchet Chastel, 2015
-
Marano, Barouki, Zmirou, Toxique? santé et environnement: de l’alerte à la décision, éd. Buchet Chastel, 2015
Des liens pour en savoir plus:
Anses https://www.anses.fr/fr/content/perturbateurs-endocriniens-1
Video Rémy Slama http://www.universcience.tv/video-remy-slama-et-les-perturbateurs-endocriniens-6764.html
http://www.cancer-environnement.fr/274-Perturbateurs-endocriniens.ce.aspx
Stratégie nationale Perturbateurs endocriniens http://www.developpement-durable.gouv.fr/Strategie-nationale-sur-les.html
Réseau Environnement Santé http://reseau-environnement-sante.fr/
PNSE 3 http://www.sante.gouv.fr/plan-national-sante-environnement-pnse-3-2015-2019.html
Rapport Barbier 2011 http://www.senat.fr/rap/r10-765/r10-765_mono.html
Rapport UE_Kortenkamp_2012 et annexes http://ec.europa.eu/environment/chemicals/endocrine/documents/studies_en.htm
Rapport Roumégas 2014 http://www.assemblee-nationale.fr/14/europe/rap-info/i1828.asp
Theo Colborn_lettre au Président des USA_ 2012 https://www.youtube.com/watch?v=2r2Rx8VRq48
TEDX (The Endocrine Disruption Exchange) http://endocrinedisruption.org/
Early menopause in US women http://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0116057
The cost of inaction_2014_Nordic Council http://norden.diva-portal.org/smash/get/diva2:763442/FULLTEXT04.pdf
Leonardo Trasande (NYUniversity) http://wagner.nyu.edu/trasande
———————————
Rappelons qu’il existe au sein de Vienne Nature un groupe de travail Santé-Environnement ouvert à tous.