Le 2 février 2020
La dégradation récurrente de l’eau, en quantité et qualité, depuis des années sur le bassin du Clain, nous conduit à nouveau à réagir et vous transmettre nos avis et propositions.
Notre objectif principal est le retour à l’équilibre entre la ressource en eau et ses différents usages sur le bassin du Clain. Une reconquête des milieux aquatiques et de la qualité de l’eau s’impose.
Après une série de constats, nous proposons une démarche commune vers une gestion de l’eau centrée en priorité sur la disponibilité de la ressource sur ce bassin du Clain et nous insistons sur l’importance d’un véritable projet de territoire qui inclura nécessairement une redistribution de l’eau et une réorientation de l’irrigation agricole.
1 – L’urgence de la situation
Inefficacité du classement en ZRE
L’ensemble du bassin du Clain est classé en ZRE, zone de répartition des eaux, depuis 25 ans. Force est de constater un échec total des mesures prises pour un retour à l’équilibre : les priorités entre les usages ne sont toujours pas respectées : L’eau dégradée, sur les plans qualitatif et quantitatif, n’est rendue potable qu’avec le recours à d’importants traitements ou dilutions avant distribution. Les milieux aquatiques sont affectés par trop d’assecs particulièrement en 2019.
Le non-respect des volumes prélevables
Le 16 mai 2012, le Préfet coordonnateur de bassin a défini les volumes prélevables. Ces volumes prélevables pourront éventuellement être revus à l’issue de l’étude HMUC en cours. Ces volumes prélevables, augmentés des volumes provisoires et répartis entre les irrigants par l’OUGC, ne sont en réalité presque jamais consommés. Cet état de fait ne résulte pas d’un plan d’économie d’eau, mais est le résultat des arrêtés de limitation ou d’interdiction des prélèvements d’eau à usage d’irrigation agricole, émis par les services de la Préfecture pour éviter la dégradation des milieux.
Le volume prélevable global est à mettre en lien avec le Débit d’Objectif d’Étiage (DOE) afin de satisfaire l’ensemble des usages, en moyenne 8 années sur 10, sans avoir besoin de recourir à des mesures de restriction, ce qui n’est pas le cas.
Il est urgent que les prescriptions du Préfet coordonnateur de bassin soient respectées et que des mesures de contrôle efficaces soient mises en place pour s’assurer qu’il en est bien ainsi.
Des seuils de gestion inopérants
Malgré les arrêtés de limitation ou d’interdiction, les bilans d’étiage établis par la Fédération de pêche sont alarmants (voir le bilan 2019 ci-dessous) : il est donc urgent et impératif de relever le niveau des seuils afin de garantir la protection des milieux.
Des réserves de substitution sont envisagées. Il est impératif que soit défini avant toute validation de tels projets, un seuil piézométrique hivernal réglementaire qui garantisse les bonnes conditions de recharge des nappes.
Une illustration : le bilan d’étiage 2019, établi par la fédération de pêche de la Vienne.
Le journal Centre Presse titre en première page le 2 août 2019 « une hécatombe dans les rivières de la Vienne qui connaissent l’une des pires situations depuis trente ans provoquant la mort de centaines de milliers de poissons ».
La Fédération de pêche de la Vienne a établi le bilan d’étiage dans le département pour 2019 : 62 km d’écoulement normal soit 1,5 % ; 3526 km en étiage sévère soit 81 % ; 763 km en assec et/ou rupture soit 17,5 %.
Sur le bassin du Clain, 8 tonnes de poissons ont été perdues. Le coût des dommages écologiques est estimé à 370 000 euros selon la méthode Huet, Léger, Arrignon. Cette estimation ne prend pas en compte les dommages liés à la dégradation des conditions des milieux lors d’écoulements faibles ni les dommages liés à la disparition d’espèces non piscicoles telles que les amphibiens, odonates, invertébrés, mollusques, avifaune, flore et pourtant bien souvent protégées. Selon la fédération, le DOE, débit d’objectif d’étiage, est atteint 5 années sur 7 depuis 2012 ; il faut compter 98 jours en dessous du débit de crise depuis 2017 dont 50 jours en 2019.
L’état quantitatif de nos cours d’eau a empiré depuis l’année 1991 et pour des cumuls pluviométriques supérieurs aux années précédentes. La gestion de l’eau déjà défavorable au milieu aquatique ne s’adapte pas assez vite à l’épuisement de la ressource qui est limitée.
Malgré une quantité importante de données sur les besoins du milieu aquatique à l’étiage — étude PABC 2009, plan d’aménagement du bassin Clain, étude BRGM 2012, étude relative aux débits biologiques de la Pallu 2018 —, il n’y a pas eu d’adaptation significative des mesures de gestion.
La fédération de pêche de la Vienne a réalisé récemment une étude sur le bassin de La Pallu, étude réalisée par un cabinet indépendant avec une aide de l’agence de l’eau Loire Bretagne. Elle sera ultérieurement complétée par l’étude HMUC sur l’ensemble du bassin du Clain. L’étude porte sur les exigences biologiques du milieu aquatique mis à blanc dans ce secteur tous les quatre ans. Cette étude conclut qu’en l’état actuel de la rivière, le maintien d’un peuplement piscicole cohérent nécessite des
Débits Minimum Biologiques (DMB) très largement supérieurs au seuil de gestion appliqué. En procédant à une restauration de la rivière, le DMB pourrait être divisé par quatre.
Une présence permanente des nitrates et pesticides dans les captages destinés à l’eau potable
Malgré la succession des plans d’action, réglementations et directives, les programmes successifs, basés sur le volontariat, n’ont pas permis pas la baisse attendue des taux de nitrates sur le bassin du Clain.
Fin décembre 2018, l’augmentation simultanée des nitrates sur les captages de La Varenne et de Fleury était sur le point de mettre en péril l’alimentation en eau potable des habitants de la communauté urbaine de Grand Poitiers.
Sur le territoire du SAGE Clain, 14 forages ont été abandonnés de 1992 à 2011 du fait de teneurs en nitrates trop élevées, de bactériologie et turbidité. Source : Conseil général de la Vienne 2011.
En ce qui concerne les pesticides, les molécules les plus fréquemment détectées sur l’ensemble du bassin du Clain sont principalement des herbicides utilisés en agriculture conventionnelle.
4 stations de traitement des pesticides ont été construites sur le bassin versant du Clain et au cours de l’année 2019, 4 dérogations aux limites de qualité en distribution d’eau potable dans le bassin versant du Clain ont été examinées en CoDERST.
2 – Les éléments de cadrage préalable à toute concertation
2.1 Des prérequis nécessaires de connaissances
- Un historique des prélèvements agricoles estivaux et sur l’année, comprenant tous les prélèvements, notamment les 7 millions de m 3 de prélèvements hivernaux ainsi que les résultats d’analyse des dérogations. Il est donc indispensable d’établir l’inventaire des plans d’eau et autres réserves existants à usage d’irrigation, l’historique des volumes effectivement prélevés, des volumes prélevables et des précipitations. Cet inventaire des plans d’eau et retenues est une compétence de l’État, mais qui ne figure aujourd’hui ni dans le projet de SAGE ni dans l’étude HMUC ni dans les CTMA.
- Un audit des effets des réserves de substitution existantes sur le bassin du Clain et un autre bassin comparable à déterminer.
- Une étude pour identifier et hiérarchiser les zones humides, puis définir les conditions de leur sauvegarde et/ou de la restauration de leurs fonctionnalités. Ce travail a été exclu de l’étude HMUC, du SAGE ainsi que des SCOT et PLUi concernés. Cet inventaire des zones humides est aujourd’hui laissé à la responsabilité des communes et EPCI ; le projet de SAGE le prévoit dans un délai de trois ans sans y accorder de moyens.
- Un état des lieux de l’occupation des sols, nature et surface des cultures, de la nature et surface des cultures irriguées, pour évaluer la consommation d’eau par type de culture.
- Un bilan économique et agronomique de l’agriculture irriguée : nombre d’irrigants, rendements, assolements, surfaces drainées, état des filières, aides reçues, différentiel de marge brute procuré par l’irrigation, consommation de produits phytosanitaires.
- Une étude départementale de la production agricole susceptible d’être consommée localement, ainsi que l’état des circuits de commercialisation, les stratégies des coopératives agricoles, l’analyse des plans alimentaires territoriaux en cours.Nous exprimons une véritable attente de l’étude HMUC qui devrait définir les volumes prélevables en période d’étiage et hors étiage en nappes et rivières, une fois établis les débits minimums biologiques des cours d’eau et les niveaux piézométriques optimums à ne jamais dépasser pour les nappes.
2.2 Une étape indispensable : un projet de territoire pour la gestion de l’eau
La concertation sur les réserves de substitution doit impérativement s’inscrire dans un projet de territoire tel que défini dans l’instruction ministérielle du 7 mai 2019.
« Un projet de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE) est une démarche reposant sur une approche globale et coconstruite de la ressource en eau sur un périmètre cohérent d’un point de vue hydrologique et hydrogéologique. Il aboutit à un engagement de l’ensemble des usagers d’un territoire (eau potable, agriculture, industries, navigation, énergie, pêche, usages récréatifs, etc..) permettant d’atteindre, dans la durée, un équilibre entre besoins et ressources disponibles en respectant la bonne fonctionnalité des écosystèmes aquatiques, en anticipant le changement climatique et en s’y adaptant. Il s’agit de mobiliser à l’échelle du territoire des solutions privilégiant les synergies entre les bénéfices socio-économiques et les externalités positives environnementales, dans une perspective de développement durable du territoire. Le PTGE doit intégrer l’enjeu de préservation de la qualité des eaux (réductions des pollutions diffuses et ponctuelles. »
La gouvernance du projet de territoire doit être menée par l’ensemble des acteurs de l’eau au sein d’une instance réellement représentative de l’ensemble des acteurs. Le pilotage de cette instance doit être fait par une personnalité qualifiée indépendante. Il est essentiel d’assurer un engagement collectif de tous les agriculteurs, et non des seuls irrigants, autour d’un dispositif de répartition équitable de l’eau, mais aussi un engagement des citoyens au-delà de la profession agricole.
Une méthodologie transversale est à mettre en place.
La logique d’un Projet de Territoire au sens de l’instruction gouvernementale n’est pas de partir de projets sectoriels tels les CTGQ ou les CTMA, mais d’accepter le défi d’un projet transversal voué à être décliné ensuite de manière sectorielle : perspectives socio-économiques, qualité, quantité, milieux. Cette démarche permettra d’éviter le risque de juxtaposition sans cohérence de domaines étanches, en particulier d’éviter la déconnexion des volets quantitatifs et qualitatifs ou de séparer les zones géographiques. Elle permettra de situer le projet dans la perspective d’une évolution socio-économique du territoire.
Une priorité claire doit concerner l’économie d’eau.
Jusqu’ici, la démesure a marqué tant l’estimation des besoins par les irrigants que les attributions de volumes, accordées en fonction des droits historiques de prélèvements de chaque exploitant, qui remontent très souvent à une période antérieure à la réglementation actuelle de l’eau et à la prise de conscience du dérèglement climatique. Elle a conduit non seulement au non-respect des prescriptions du SDAGE en matière de volumes prélevables attribués, mais aussi à la violation de la notion même de ZRE au détriment des milieux et des autres usages. Comme préconisé au chapitre 7D SDAGE la nécessité d’économie d’eau s’impose pour tous les usages.
À l’évidence, il n’y a pas d’économie possible en pérennisant un système maïs grain qui, même en régression, consomme 80 % du volume d’eau d’irrigation comme démontré dans le projet économique cité en paragraphe 3.
Deux notions à éclaircir : économie d’eau et substitution
L’expérience montre qu’une mise au point est nécessaire sur la notion d’économie d’eau. Il n’y a pas d’économie sans la prise en compte du total des volumes d’irrigation agricole prélevables sur l’année. Il n’est pas légitime de qualifier d’“économie”, l’anticipation de prélèvements. Car il s’agit bien pour les SCAGE de maintenir les volumes annuels de prélèvements actuellement autorisés alors que la ressource est insuffisante et qu’il a été observé que les réserves de substitution avaient tendance à conduire à une augmentation de la consommation effective.
La notion de substitution doit être mise au clair afin d’en établir une définition commune. Il n’y a pas de substitution sans baisse réelle des prélèvements estivaux de tous les irrigants ; la substitution n’étant pas une compensation.
Place et engagement des irrigants pour l’amélioration des milieux aquatiques
Les possibilités de stockage par pompage hivernal en nappes sont à définir à partir des capacités du milieu telles que définies par l’étude HMUC conduite par le SAGE du Clain ou par toute autre expertise indépendante. Tout risque d’entraver la recharge des nappes sera exclu, comme tout risque de compromettre les crues utiles des cours d’eau et l’alimentation des zones humides, dispositif naturel très efficace de stockage de l’eau. Un engagement est nécessaire sur des améliorations en vue du bon état qualitatif et quantitatif : restaurations et créations de ripisylves, restauration de zones humides, bandes enherbées… Les milieux aquatiques doivent retrouver leur place de 2 e priorité dans la hiérarchie des usages, selon la loi sur l’eau, avant l’activité économique.
Engagements pour la reconquête de la qualité de l’eau
L’enjeu actuel de santé publique impose, en contrepartie d’une garantie d’accès à l’eau, une réduction quantifiée et programmée des apports en nitrates et produits dits “phytosanitaires” sur l’ensemble des cultures irriguées. Il impose une suppression des produits “phytosanitaires” dans les aires d’alimentation de captage d’eau potable impactées par l’irrigation, en particulier les captages prioritaires et les captages soumis à dérogation. Il s’agira d’engagements individuels sur des mesures et sur un échéancier avec indicateurs et organisation d’un suivi, en coordination avec les programmes d’action des contrats Re-Sources, les GIEE, et les ZAR existant sur le bassin versant.
Au sujet de la répartition équitable de la ressource
Une gestion réellement collective doit garantir l’accès à un volume minimal d’eau à tous les agriculteurs et éleveurs qui en démontrent la nécessité, notamment les nouveaux installés. C’est au prix d’une solidarité de ce type qu’un projet de territoire pourra faire consensus et susciter l’adhésion forte sans laquelle il serait inefficace. Il n’est pas socialement acceptable de priver d’eau des jeunes qui s’installent alors que le CTGQ actuel du Clain prévoit la possibilité pour quatre exploitants raccordés (sur 19) de monopoliser la moitié du volume stockable d’une SCAGE (Clouère, 1 600 000 m3), un seul des 4, disposant de 25 % de ce volume. Un irrigant ne peut pas perdre 60 % de son volume historique alors que son voisin sociétaire de SCAGE, raccordé ou non à une réserve, en garde la totalité. Quelques 151 sociétaires de SCAGE ne peuvent pas définir la politique de l’eau pour tout le bassin versant du Clain. Dans ces fractures, outre la dimension éthique, c’est la possibilité même d’un projet de territoire qui est en jeu.
Des recours à tous les leviers disponibles pour anticiper le changement climatique sont urgents.
Des leviers agronomiques, amélioration de la qualité des sols, prévention du ruissellement, cultures résistantes au stress hydrique… et des leviers naturels tels que la restauration de zones humides, celle des sols artificialisés, des cours d’eau et des ripisylves, reboisement et plantations de haies. Il faut ainsi une prise en compte des solutions alternatives à l’irrigation intensive et au stockage massif.
La question de la pertinence d’une irrigation intensive se pose en préalable à celle du stockage. Elle implique des simulations de passage à un modèle cultural économe en répondant à la question : irriguer pour quoi faire ?
La réponse passe par un scénario d’évolution vers un système agro-écologique qui suppose la plus grande transparence sur la nature, la localisation et les besoins en eau des projets d’occupation du sol portés tant par les irrigants que par les nouveaux demandeurs d’irrigation.
C’est pourquoi, après une analyse de la situation actuelle de l’agriculture sur le territoire du Clain et de la conjoncture économique nous proposons une réorientation de l’irrigation agricole.
3 – Pour une réorientation de l’irrigation agricole
Une conjoncture économique et climatique devenue défavorable au maïs…
Historiquement territoire de polyculture-élevage, le département de la Vienne s’est profondément transformé avec les premières mesures de la Politique Agricole Commune. Les aides à l’hectare ont favorisé l’agrandissement vers les cultures au détriment de l’élevage.
C’est ainsi que le développement du maïs a été exceptionnel : alors que la surface de cette culture a progressé de 38 % en France de 1970 à 2015, l’évolution dans la Vienne a été de +255 % !
Sous l’effet notamment de primes PAC plus incitatives, la surface en maïs irrigué dont les données sont plus fragmentaires, a connu la même évolution (courbe verte). Mais les assecs provoqués par l’importance des prélèvements pour l’irrigation (40,6 Mm3 en 2003 sur le bassin du Clain) ont conduit à des mesures de restriction. La surface en maïs irrigué a ainsi diminué de 54 % de 2003 à 2018 dans la Vienne.
(Sources : Agreste, Ministère de l’Agriculture)
À défaut de données plus précises, on peut estimer que la surface en maïs irrigué dans le bassin du Clain a suivi la même évolution. Mais la réduction des volumes d’eau alloués à l’irrigation n’est pas la seule cause de ce déclin, car depuis que l’ambitieux programme de construction des réserves a été élaboré au début des années 2010, les termes de l’échange se sont dégradés pour les irrigants : les coûts de production ont augmenté tandis que le prix de vente du maïs et le montant des primes ont sensiblement diminué. Et il est peu probable que la conjoncture économique s’améliore : le prix du maïs risque de stagner durablement au niveau faible actuel, car le réchauffement climatique qui nous pénalise est favorable aux producteurs des terres fertiles (tchernoziom) du nord-est de l’Europe, en Ukraine, Russie, Kazakhstan, pays qui exportent de plus en plus (Source : Centre d’Etude et de Prospective – 2016). Par contre, dans notre région, les rendements stagnent et les charges augmentent, en particulier celles de l’énergie.
Pour de nombreux irrigants, même subventionnées à 70 %, les réserves de substitution ne seront pas rentables pour produire du maïs grain qui demeure la principale culture consommatrice d’eau d’irrigation sur le bassin du Clain (environ les 2/3).
… un programme devenu inadapté dans ce nouveau contexte.
Les données en notre possession concernant les surfaces irriguées sur le bassin du Clain sont imprécises. À défaut, selon les dernières statistiques départementales du Ministère de l’Agriculture, nous estimons que la surface en maïs irrigué sur le bassin du Clain était d’environ 7 à 8 000 ha en 2018 contre 17 000 ha en 2003 (1) et 13 100 ha en 2009 (2) . Cette rapide évolution montre combien les agriculteurs intègrent les nouvelles contraintes économiques et climatiques ainsi que des incitations des politiques agricoles (Mesures agroenvironnementales et climatiques).
Depuis une quinzaine d’années, de nombreux agriculteurs ont donc renoncé à irriguer le maïs, une culture exigeante en eau l’été lorsque la pluie se fait rare et l’évapotranspiration de plus en plus élevée. Cette diminution tendancielle des surfaces en maïs devrait se poursuivre et nous permet d’estimer qu’il serait possible de ramener la sole en maïs irrigué sur le bassin du Clain à environ 4 000 ha à l’échéance du programme en 2022-2023, soit des besoins d’environ 7 Mm3 .
Rappelons qu’en 2003 la consommation du maïs devait être d’environ 35 Mm3 !
La meilleure solution pour réduire les prélèvements en eau est donc de poursuivre la substitution de cultures moins exigeantes en eau à celle du maïs. Mais pour réussir cette transition, le programme doit être revu et les agriculteurs qui acceptent de modifier leurs pratiques pour les rendre plus vertueuses doivent être soutenus.
Pour un autre projet, plus équitable et socialement acceptable.
Dans les dossiers soumis à enquête publique, les porteurs du programme indiquent que « l’irrigation permet de développer les cultures spécialisées et en particulier les semences. Elle sécurise la ressource alimentaire pour les productions animales induisant leur pérennité. Le maintien de la haute valorisation du terroir présente aussi un intérêt pour les activités en aval. »
Nous partageons cet objectif et nous construisons notre proposition en conséquence.
- Les productions spécialisées
Par « cultures spécialisées » nous considérons les surfaces fourragères au profit des élevages (maïs, prairies, luzerne), le maïs semence et les autres porte-graines, le melon, les cultures maraîchères, l’arboriculture… Autant d’activités plus riches en emplois et en valeur ajoutée que les grandes cultures de vente.
Mais lorsque nous observons la répartition des surfaces données par l’OUGC (réunion du 7 novembre2019) nous constatons que ces productions ne représentent que 16 % des surfaces irriguées et leur consommation en eau peut être estimée entre 3,5 et 4 Mm 3 seulement.
Même avec une croissance de ces productions, les besoins futurs devraient être au plus de l’ordre de 5 Mm3 /an (soit +35 %). En effet, il est illusoire de penser que la Vienne pourra fortement développer ces productions moins exigeantes en surfaces. Car si nous avons d’importantes coopératives céréalières dans la Vienne, en dehors du melon, nous avons peu de filières structurées avec des opérateurs de collecte, une logistique et des outils de transformation ou de stockage adaptés aux produits diversifiés : fruits, légumes, plantes aromatiques, volailles… Toutefois une volonté collective, manifestée dans un projet de territoire, peut faciliter l’émergence de nouvelles filières qui seraient des filières de proximité portant sur des volumes raisonnables.
- Le maïs et les autres grandes cultures
Nous avons montré à quel point la régression des surfaces en maïs irrigué a permis de réduire les prélèvements en eau sur le bassin du Clain. Et il serait possible de les ramener à 7 Mm3 /an, voire moins. Or, 5 000 ha de maïs irrigué demain, c’est tout simplement revenir à la situation raisonnable de 1970. Pour une disponibilité en eau de l’ordre de 25 Mm3 , soit les 18 Mm3 de volumes disponibles en période d’étiage, plus les réserves déjà construites et des droits à prélèvements hivernaux anciens, nous aurions un solde de l’ordre de 13 Mm3 (soit la ressource de 25 Mm3, moins les productions spécialisées 5 Mm3, moins le maïs 7 Mm3). Ce solde pourrait être affecté pour « des tours d’eau » permettant d’assurer le rendement des autres grandes cultures : blé tendre et blé dur, orge, sorgho, colza, tournesol et autres oléoprotéagineux… soit un usage beaucoup plus efficient de la ressource sur environ 25 000 ha. Selon ARVALIS, Institut du végétal, pour un apport de 10 mm d’eau, soit 100 m3 /ha, le gain de rendement peut être de 2,5 Qx/ha en blé alors qu’il est de l’ordre de 1,5 Ql en maïs. Soit une efficience de + 67 %.
Au total, sans réserve nouvelle, ces disponibilités devraient permettre d’irriguer environ 30 000 ha sur le bassin du Clain, soit nettement plus qu’actuellement. De plus la répartition de l’eau serait plus équitable entre les irrigants alors que le programme actuel prévoit un accès à l’eau prioritaire pour les membres des SCAGE.
Cependant, si un Projet de territoire de gestion quantitative de l’eau montrait que du stockage était nécessaire ici ou là pour garantir la pérennité de productions spécialisées, la création de quelques réserves de taille limitée serait envisageable dans un cadre de répartition transparente pour des usages acceptés par toutes les parties prenantes.
- Une autre répartition de l’eau
Pour respecter la priorité donnée aux « productions spécialisées », chaque année, les volumes attribués pourraient être définis comme suit :
1. Un quota A affecté aux productions spécialisées correspondant à la totalité de leurs besoins, y compris pour de nouveaux installés.
2. Un quota B pour les autres cultures, défini en fonction de l’état de la ressource à la fin de l’hiver.
Ainsi, en cas de restrictions ou de risques de restrictions, les irrigants pourraient adapter les emblavements de printemps selon les prévisions de disponibilité en eau. Cette proposition a pour objet de montrer qu’un autre projet est possible, qui permet de mieux partager la ressource en eau tout en respectant la priorité : les productions spécialisées.
Pour accompagner autrement les irrigants du bassin du Clain…
Si les agriculteurs n’adaptent pas leurs pratiques, face à l’inévitable réchauffement climatique, la demande en eau d’irrigation va s’accroître tandis que la ressource disponible va diminuer. Pour faire face à cette contrainte, les irrigants vont devoir s’orienter vers davantage de cultures dont le cycle végétatif se termine au début de l’été (blé tendre, blé dur, orges, colza, pois féverole…) ou celles dont les besoins en eau sont plus limités (tournesol, sorgho…). Ainsi, l’introduction d’une plus grande diversité dans les types de cultures et la mise en place de rotations culturales devraient en même temps permettre de diminuer l’usage de produits phytosanitaires.
A cet effet, il s’agirait de soutenir les productions en faveur d’une alimentation saine et de qualité, de financer la transition agroécologique des fermes, notamment la sortie des pesticides et de rendre l’agriculture biologique plus accessible en attribuant des financements complémentaires pour son développement. Une adaptation exigeante au réchauffement climatique et à la rareté de l’eau en période d’étiage qui doit s’inscrire dans la durée.
Pour financer les réserves, l’Agence de l’eau a provisionné 44,4 M€. Cette ressource devrait pouvoir être complétée par des financements régionaux, voire départementaux afin de financer un ambitieux programme de recherche, de formation, mais aussi des primes pluriannuelles pour accompagner les agriculteurs dans cette transition. Des soutiens qui pourraient venir abonder des aides existantes, les MAEC (Mesures agroenvironnementales & climatiques) et les aides à la conversion en agriculture biologique (3).
Nos associations ne peuvent se satisfaire d’une gestion complaisante de l’eau ni d’objectifs sans rapport avec l’urgence dans laquelle se trouve le bassin du Clain.
Nous sommes convaincus que seul un véritable projet de territoire, appuyé sur une base de connaissance et une gouvernance partagées, conduira à des actions et évolutions de pratique, à la fois favorables aux milieux aquatiques, résilientes au changement climatique et porteuses de plus-value pour le territoire.
Et dans ce contexte, nos associations sont prêtes à s’engager et apporter leur expertise à toute concertation.
La Confédération Paysanne de la Vienne, la Fédération de pêche de la Vienne, la LPO Poitou-Charentes, l’UFC-Que Choisi 86, Vienne Nature
1 Estimation à partir de données du SAGE Clain – 2011
2 Sources : État initial du SAGE Clain – 2011
3 Du 15 novembre 2019 au 30 avril 2020, l’agence de l’eau Loire-Bretagne lance un appel à projets pour le développement de filières agricoles de valorisation de productions favorables pour l’eau. Le but est de faciliter et pérenniser des évolutions de pratiques et de systèmes.
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