Les faces cachées du projet de protocole des méga-bassines du Clain
Des réserves de substitution… sans substitution !
Des volumes provisoires… qui se veulent définitifs !
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Au-delà des volumes considérables dont le projet de protocole veut autoriser les prélèvements, ce projet s’appuie sur des affirmations qui sont fausses pour ne pas dire mensongères.
Une absence de substitution
Il ne suffit pas d’affirmer que les réserves sont de substitution pour qu’elles le soient réellement. Encore faut-il qu’elles correspondent à la définition.
Une définition est donnée par le SDAGE (1) selon laquelle :
Une réserve dite de substitution a pour objet de remplacer des prélèvements d’étiage par des prélèvements en période de hautes eaux que le prélèvement soit fait dans le même milieu (superficiel, souterrain) ou non.
On peut citer aussi une autre définition, plus précise, qui provient d’un document officiel et qui d’ailleurs est reprise en annexe de la circulaire sur le PTGE (2) du 7 mai 2019 :
Retenue de substitution : ouvrage artificiel permettant de substituer des volumes prélevés en période de basses eaux par des volumes prélevés en période de hautes eaux. Les retenues de substitution permettent de stocker l’eau par des prélèvements anticipés ne mettant pas en péril les équilibres hydrologiques, elles viennent en remplacement de prélèvements existants. (Guide juridique construction de retenues de 2011-Expertise collective Impact cumulé des retenues d’eau sur le milieu aquatique)
Les réserves de substitution ainsi définies sont vues avec faveur parce qu’elles permettent d’avoir des volumes de prélèvement stables pour les irrigants tout en diminuant les prélèvements estivaux dans le milieu aquatique. Il y a moins de prélèvements en période estivale, lorsque la ressource est rare, il y en a plus, en période hivernale, lorsqu’elle est plus abondante.
Mais pour cela, il est essentiel que les prélèvements estivaux soient diminués du montant des prélèvements hivernaux effectués pour le remplissage des réserves.
Ce n’est pas du tout le cas dans le projet des SCAGEs (3) et dans le protocole. Il est en effet prévu que les volumes estivaux qui étaient attribués aux irrigants raccordés aux réserves seraient transférés au bénéfice des adhérents des SCAGEs non raccordés (v. p.62 du projet de protocole). Le volume estival prélevable, tel que défini par le préfet de bassin, resterait le même. Il n’y a aucune diminution des prélèvements estivaux, mais dans le même temps, une augmentation des prélèvements hivernaux (du montant des volumes des réserves dites de substitution).
1 - Contrairement à ce qui est affirmé, les réserves ne sont pas des réserves de substitution. Aucun des avantages attribués à cette catégorie ne peut leur être accordé notamment en matière de financement par les Agences de l’Eau.
2 - En réalité il y a une augmentation des volumes prélevés sur la ressource puisque l’été on va continuer à pouvoir prélever les mêmes volumes et qu’on va ajouter l’hiver le volume des réserves. Cela semble en contradiction avec les règles qui s’appliquent aux ZRE (4) qui interdisent d’augmenter les prélèvements sur la ressource. Or le bassin du Clain est en ZRE depuis plus de 20 ans.
La réalité complexe et trompeuse des volumes provisoires
Après la grande sécheresse de 2003 qui avait vu l’explosion des prélèvements et pour revenir à une situation plus normale, le préfet de bassin a pris le 16 mai 2012 une notification par laquelle il fixait les volumes estivaux prélevables pour le bassin du Clain pour l’agriculture (environ 17 M m3). Ceux-ci impliquaient une baisse sensible. Pour permettre aux irrigants de s’adapter, les nouveaux volumes prélevables n’étaient pas immédiatement applicables. Il devait en être tenu compte dans les décisions prises ultérieurement par les préfets des différents départements dont relève le bassin du Clain, à l’occasion de nouvelles autorisations de prélèvement ou de renouvellement de telles autorisations.
En 2017 les préfets de la Vienne, des Deux Sèvres et de la Charente prennent un arrêté d’autorisation unique de prélèvement (AUP) au profit de l’OUGC du Clain. Cet arrêté respecte les volumes prélevables définis dans la notification du préfet de bassin. Mais il accorde, en plus, d’autres volumes dits « provisoires » qui sont égaux au volume des réserves de substitution (qui sont encore à l’état de projet). Ces volumes provisoires sont accordés aux adhérents des SCAGE en attente de la construction des réserves dites de substitution (en gros 17 millions de m3 de volumes « normaux » et 10 millions de volumes provisoires).
Au lieu d’inciter les irrigants à réduire leur consommation, on leur accorde la moitié en plus, alors que la notification indique clairement qu’il faut aller vers la réduction.
Les volumes provisoires rendent la situation réelle difficile à saisir. Ils laissent la possibilité aux irrigants et au protocole de considérer que les volumes prélevables estivaux sont égaux à la somme des volumes « normaux » + les volumes provisoires. Ils en déduisent que la suppression des volumes provisoires réalise la diminution des volumes estivaux.
C’est contestable et surtout faux
1 - les volumes provisoires sont des volumes dérogatoires accordés temporairement en attente de la construction des réserves. Lorsque celles-ci sont construites, les volumes dérogatoires disparaissent. Il est donc totalement impossible de les prendre en considération pour déterminer les volumes prélevables après construction des réserves. Il n’y a que les volumes fixés par la notification du préfet de bassin.
Comme ce sont des avances, il faut les traiter comme telles et il est permis ici, pour illustrer, de faire le parallèle avec une avance bancaire. Supposons une personne dont son banquier souhaite qu’elle se désendette de 100 000 €. Cette personne dit d’accord, mais commencez par me prêter 100 000 € de plus pour la durée prévue pour le désendettement. À l’échéance elle rembourse 100 000 €. Il est bien évident qu’elle ne s’est pas désendettée. C’est exactement ce que veulent faire les irrigants et que reprend le projet de protocole.
2 - les volumes provisoires sont purement théoriques, pour ne pas dire fictifs. Si l’on prend en considération les prélèvements effectivement réalisés, et ce sont eux qui doivent pris en compte pour apprécier l’existence d’une substitution, il apparaît que ces dernières années les prélèvements sont à peu près conformes aux volumes prélevables normaux, ceux fixés par la notification du préfet de bassin (p. 50 du projet de protocole). Cela ne veut pas dire comme le voudrait le projet de protocole qu’il y a eu de la part des irrigants une politique de réduction des prélèvements. Cela veut dire que du fait de la gestion de crise et des arrêtés de restriction ou de coupure, les irrigants n’ont pas pu prélever plus que les volumes normaux. Le milieu ne peut pas fournir plus. Donc les volumes provisoires n’ont quasiment pas été utilisés. La conséquence, et c’est très important, est que la disparition des volumes provisoires n’apportera aucune amélioration à la situation des milieux aquatiques. Ce seront toujours les mêmes volumes qui pourront être prélevés pendant la période estivale avec le même résultat.
Or la caractéristique et l’effet essentiels de la substitution sont de permettre des prélèvements hivernaux pour réduire les prélèvements estivaux. Il s’agit d’assurer aux irrigants un volume qu’ils avaient avant tout en améliorant la situation des milieux aquatiques pendant les périodes de basses eaux. La diminution des volumes prélevables estivaux est absolument fondamentale.
En réalité les irrigants et le projet de protocole ont une conception erronée de la substitution. Ils considèrent qu’ils avaient des volumes prélevables estivaux qu’on leur impose de diminuer. Ils veulent compenser cette diminution par de futurs prélèvements hivernaux qu’ils stockeront. Ce qu’ils appellent « substitution » est en réalité de la compensation. Ils ne prennent en considération que leur intérêt, pas celui des milieux aquatiques. Et, par ailleurs les prélèvements hivernaux interviennent après les prélèvements estivaux diminués. La substitution, la vraie, au sens technique, vise à concilier l’intérêt des irrigants et celui des milieux. Elle autorise des prélèvements hivernaux de stockage anticipés pour après diminuer les prélèvements estivaux. La flèche du temps n’est pas la même.
L’absence d’une réflexion prospective et transversale
Un programme de réserves ne pourra être financé et mis en œuvre que prévoyant de véritables réserves de vraie substitution, ce qui implique selon le SDAGE qu’elles améliorent l’état des milieux aquatiques. Il s’agira de réserves localisées là où les cours d’eau et leurs annexes hydrauliques souffrent le plus de l’impact des prélèvements, situations d’ores et déjà identifiées par l’étude HMUC (5). Cette amélioration conditionne tout financement par l’AELB (6). La localisation principalement écologique de ces réserves n’interdira évidemment pas leur usage agricole.
Ces réserves n’excluent pas un programme de petites réserves localisées pour permettre le démarrage et la sécurisation de cultures alimentaires.
Mais quelle que soit la finalité principale des réserves, établir une substitution conforme aux prescriptions du SDAGE ne suffira pas : ces réserves devront s’inscrire dans un PTGE incluant en priorité absolue la sécurisation de l’alimentation en eau potable, suivie par la reconquête du bon état des masses d’eau et la réorientation de l’irrigation dans une perspective d’économie d’eau et d’égalité d’accès à l’eau. Ce PTGE définira à partir de l’étude HMUC les marges de manœuvre de l’irrigation, en fonction de la ressource prévisible et des besoins de sécurisation de cultures alimentaires considérées comme prioritaires. Il n’envisagera le stockage artificiel que comme complément d’un plan ambitieux de restauration des possibilités de stockage naturel dans les nappes.
Ce PTGE devra répondre à l’inquiétude grandissante du public devant la pollution par pesticides des eaux brutes et des eaux déclarées « potables ». Il devra donc proposer des dispositifs efficaces pour exclure de toutes les Aires d’Alimentation de Captage la sur-fertilisation et l’emploi de molécules suspectées d’être cancérigènes, avec application du principe de précaution pour les métabolites de molécules-mères non encore exonérées de tout doute. Il permettra de poursuivre les améliorations des milieux aquatiques déjà entreprises sur le bassin du Clain et d’engager leur véritable gestion telle qu’attendue par les experts.
Les objectifs et les échéances définis par le PTGE s’imposeront aux contrats de gestion qualitative et quantitative et aux CTMA (7), le rôle de ces contrats étant de décliner le PTGE sur les territoires.
Le PTGE reste à définir avec l’appui l’étude HMUC, nous y sommes prêts depuis 2018. Et ce n’est qu’après son élaboration que chacun pourra juger de l’opportunité ou non de véritables réserves de substitution parmi toutes les solutions proposées.
ll est proposé de continuer cette réflexion avec d’autres partenaires.
Vienne Nature, Octobre 2022
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(1) SDAGE : Schéma Directeur d'Aménagement et de Gestion des Eaux (pour en savoir plus, cliquez ici)
(2) PTGE : Projet de Territoire pour la Gestion de l'Eau (plus d'infos à ce lien)
(3) SCAGE : Sociétés Coopératives Anonymes de Gestion de l’Eau
(4) ZRE : Zone de Répartition des Eaux (infos ici)
(5) HMUC : Analyse Hydrologie Milieux Usages Climat
(6) AELB : Agence de l'Eau Loire-Bretagne
(7) CTMA : Contrat Territorial Milieux Aquatiques
Photo : ancienne bassine dans le département de la Vienne. Crédit : Olivier Prévost (tout droit réservé, ne pas utiliser sans autorisation)